ÉCHECS (JEU D’)

ÉCHECS (JEU D’)
ÉCHECS (JEU D’)

Au sein de la famille – vaste, variée et mal définie – des jeux, les échecs peuvent être rangés dans la catégorie des jeux de combinaisons à information complète. Un préjugé tenace ne voit souvent en eux qu’une distraction convenant à des tempéraments paisibles, voire lymphatiques. L’expérience montre qu’ils constituent, au contraire, une activité mentale souvent intense, riche en suspense et qui exprime avec beaucoup de nuances les personnalités de ceux qui s’y adonnent. Leurs règles, qui n’ont cessé d’évoluer depuis la naissance du jeu, peuvent être considérées, à quelques détails près, comme bien fixées depuis le XVIIIe siècle, du moins en ce qui concerne la partie d’échecs. Il n’en est pas de même pour la composition échiquéenne qui, issue de la partie, s’en est rapidement différenciée et dont les règles, en perpétuelles transformations, restent toujours ouvertes à des renouvellements de plus en plus audacieux.

1. La partie

Une partie d’échecs se dispute entre deux adversaires disposant d’un certain nombre de pièces qui se déplacent sur un réseau appelé échiquier.

L’échiquier et ses régions

L’échiquier est constitué par un quadrillage carré de 8 憐 8 = 64 cases alternativement claires et foncées. On a imaginé de nombreuses notations permettant de repérer les cases sans ambiguïté. La plus répandue est la notation dite algébrique. Elle consiste à désigner:

– les huit colonnes (ou traverses verticales) par les lettres latines de a à h en allant de gauche à droite;

– les huit rangées (ou traverses horizontales) par les chiffres arabes de 1 à 8 en allant du camp blanc au camp noir;

– une case en énonçant d’abord sa lettre de colonne puis son chiffre de rangée (fig. 1).

Outre les colonnes, les rangées et les cases, il est utile, pour l’étude de la théorie, de considérer les régions suivantes:

– les quatre bandes : ce sont les deux colonnes a et h et les deux rangées 1 et 8;

– les quatre coins : a1, h1, a8, h8;

– le centre principal (ou «grand centre»), composé des quatre cases: d4, d5, é4, é5, et le centre secondaire (ou «petit centre»), composé des douze cases qui sont contiguës aux cases formant le centre principal: ç3, ç4, ç5, ç6, d3, d6, é3, é6, f3, f4, f5, f6 (les qualificatifs «grand» et «petit» ne correspondant pas au nombre des cases mais à leur importance au cours d’une partie);

– les deux camps : le camp blanc, formé par les quatre rangées 1, 2, 3, 4, et le camp noir, formé par les quatre rangées 5, 6, 7, 8;

– les deux ailes : l’aile dame (ou Ouest), formée par les quatre colonnes a, b, ç, d, et l’aile roi (ou Est), formée par les quatre colonnes é, f, g, h.

Les pièces et leur marche

Chaque joueur est doté, au début d’une partie, de seize pièces, dont on trouve ci-dessus les noms et, pour chacune, le nombre, le symbole et la représentation imprimée.

On ne doit pas dire reine mais dame pour éviter une ambiguïté dans les symboles du roi (R) et de la reine; on ne doit pas dire cheval mais cavalier pour éviter une confusion avec une pièce du jeu d’échecs chinois et des échecs féeriques (cf. chap. 5).

Les figures 2 à 7 montrent comment marchent les pièces.

On distingue deux catégories de pièces: les figures (R, D, T, F, C) et les pions. Toutes les figures peuvent reculer aussi bien qu’avancer; seuls les pions n’ont pas le droit de reculer. Tant qu’un pion n’a pas quitté la case où il se trouvait depuis le début de la partie, il peut avancer, au choix, de un ou deux pas; dès qu’il n’est plus sur sa case initiale, il ne peut avancer que d’un pas.

Aucune pièce, sauf le cavalier, ne peut sauter par-dessus des cases occupées soit par des pièces de son camp soit par des pièces du camp adverse. Autrement dit, toutes les cases situées entre la case de départ et la case d’arrivée d’une pièce doivent être des cases vides.

Aucune pièce ne peut aller sur une case occupée par une pièce amie. Mais, une pièce «A» peut se mettre à la place d’une pièce ennemie «B» si cette dernière se trouve sur une case dans le sens de la marche de «A»; on dit que «A» prend (ou capture) «B»; le joueur de «A» enlève de l’échiquier la pièce «B» et la remplace par la pièce «A». La prise est facultative. Toutes les pièces peuvent prendre; toutes peuvent être prises, sauf les rois. Les pions sont les seules pièces qui ne prennent pas dans le sens de leur marche. Ils prennent en avançant diagonalement sur l’une des deux cases qui sont à droite et à gauche de la case (vide ou occupée) où le pion pourrait aller s’il avançait verticalement d’un pas. Par exemple, le P blanc en ç6 ne peut pas avancer en ç7 (cette case étant occupée), mais il peut prendre la T en b7 ou le F en d7 (fig. 8). L’avance facultative de un ou deux pas d’un P à partir de sa case initiale donne à l’adversaire un droit de «prise en passant», avec un de ses P si celui-ci avait eu la possibilité de prendre le P «au moment» où il était censé passer sur la case intermédiaire. Si, par exemple, le P blanc avance de é2 en é4, le P noir en f4 peut «prendre en passant» le P blanc et se poser, après la prise, sur la case é3 (fig. 8).

Lorsqu’un P arrive sur une case de la huitième rangée (en comptant les rangées à partir de son camp), il doit se transformer immédiatement et obligatoirement en une figure quelconque (sauf un R) de son camp. On dit que ce P «va à dame» et «arrive à dame», cette expression tenant au fait qu’il est presque toujours plus avantageux de demander une D qu’une autre figure (généralement moins puissante ou moins utile). Mais ce n’est pas une obligation et il n’est pas non plus obligatoire de transformer le P en une figure déjà prise. Un joueur pourrait donc avoir sur l’échiquier neuf D (celle du début de la partie et huit résultant de promotions) ou dix T, dix F, dix C.

Lorsqu’un joueur joue un coup par lequel il met en prise le R adverse, la règle a longtemps été d’annoncer ce fait en disant «échec», mot qui vient de l’iranien et qui veut dire «roi»; cette règle est tombée en désuétude et, plus encore, l’usage, complètement abandonné, de déclarer «échec à la dame». Lorsqu’un R est en échec, il doit obligatoirement chercher à éviter d’être capturé au coup suivant. Un camp n’a donc jamais le droit de mettre son R en échec et, dans une partie jouée correctement, il est impossible que les deux R soient sur des cases contiguës.

Il n’existe que trois moyens de répondre à un échec:

– faire fuir le R sur une case qui ne soit pas elle-même en échec;

– prendre la pièce qui fait échec;

– interposer une pièce entre le R attaqué et la figure attaquante (on dit alors «couvrir l’échec»).

Sur la figure 9 A, la Tb2 donne échec au Rb6; celui-ci peut fuir en a5, a6, ç5, ç6 ou ç7; les noirs peuvent également prendre la Tb2 avec leur Fd4; ou encore couvrir en jouant en b5 leur Ca7. Leur Tç8 n’a aucune possibilité de se rendre utile.

Si aucune de ces trois parades n’est possible, on dit que le R est «échec et mat», ou, plus brièvement «mat» (mot dérivé de l’iranien et qui signifie «mort»). Sur la figure 9 B, le R noir en g6 est mis en échec par la Té6; et, quoiqu’il soit entouré de cinq cases vides et assisté de quatre pièces noires, il ne peut ni fuir, ni prendre, ni couvrir; il est donc mat.

Le déroulement de la partie

Avant de commencer la partie, l’échiquier vide doit être disposé de manière à ce que chacun des deux adversaires ait une case blanche en bas à droite de son camp. Chaque joueur place alors ses pièces comme dans la figure 10. On notera que les D sont placées respectivement au milieu de la première et de la huitième rangée, chacune sur une case de sa couleur. On remarquera aussi que, dans cette position initiale, seuls peuvent jouer les deux C et les huit P de chaque camp.

Jouer un coup consiste, pour un joueur, à déplacer une pièce de son camp. On doit respecter les adages, qui ont force de règles: «pièce touchée, pièce jouée» et «case touchée (ou «pièce lâchée»), case jouée». On peut toutefois toucher une pièce amie ou ennemie sans être obligé de la jouer, à condition d’en avertir explicitement et à l’avance l’adversaire (on disait jadis «j’adoube») et pourvu qu’il s’agisse d’un motif valable, par exemple replacer sur l’échiquier une pièce qui est tombée ou renversée. Lorsqu’on touche une pièce ennemie, on doit la prendre. En cas d’impossibilité, on doit jouer son R. Si c’est également impossible, on est considéré comme ayant perdu la partie.

Du premier au dernier coup d’une partie, chaque fois que c’est son tour, un joueur doit jouer un coup et un seul; c’est ensuite au tour de son adversaire de jouer un coup et un seul. On dit qu’un joueur a le «trait» lorsque c’est à son tour de jouer.

Au début de la partie, par convention, les blancs ont le trait. Sauf arrangement spécial, avant de commencer une partie, on tire au sort pour désigner le joueur qui aura les blancs, donc le trait. Si deux joueurs disputent une série de parties consécutives, il est d’usage que le trait change de joueur après chaque partie.

Au cours d’une partie, il peut se produire, une fois seulement pour chaque camp, une situation particulière que l’on appelle le «roque». Il s’agit d’un mouvement qui déplace en un seul coup deux figures du même camp: le R et une T. Le coup n’est possible que:

– si le R concerné et l’une de ses T n’ont jamais bougé depuis le début de la partie (mais il est interdit si l’une de ces deux figures a bougé, même si elle est revenue à sa case initiale);

– si le R concerné n’est pas en échec (mais il peut l’avoir été antérieurement);

– si les cases comprises entre le R et la T concernés sont vides et si les deux cases à côté du R (du côté de la T) ne sont pas contrôlées par l’adversaire (mais elles peuvent l’avoir été antérieurement).

Si toutes ces conditions sont remplies (fig. 11 et 12) , on effectue le roque en deux mouvements comptant pour un seul coup:

– le R concerné fait deux pas (et non un seul) dans la direction de sa T;

– la T vient, ensuite, occuper la case pardessus laquelle le R a sauté.

Le roque avec la T de l’aile R est appelé «petit roque» (car il y a deux cases vides entre le R et la T) ou «roque côté roi». Le roque avec la T de l’aile D est appelé «grand roque» (car il y a trois cases vides entre le R et la T) ou «roque côté dame».

But et résultats possibles d’une partie

Le gain d’une partie ne peut se produire que dans l’une des trois circonstances suivantes:

– l’adversaire est mat;

– l’adversaire abandonne, ce qui arrive normalement au moment où il se rend compte qu’il ne pourra pas éviter le mat, de sorte que la prolongation de la partie serait inutilement discourtoise; entre forts joueurs, plus de 95 p. 100 des parties qui ne sont pas nulles se terminent ainsi;

– pour des causes extra-échiquéennes: irrégularités, dépassement du temps de réflexion fixé à l’avance, etc.; cette troisième circonstance ne survient, en général, que dans des parties de compétition.

Une partie qui ne se termine par le gain d’aucun des deux adversaires est déclarée nulle. Ce résultat ne peut se produire que dans l’une des cinq circonstances suivantes:

– lorsque, outre les deux R, il ne reste plus sur l’échiquier assez de pièces pour qu’aucun des deux camps puisse administrer le mat; ce cas se ramène, en fait, à l’un des deux cas suivants;

– lorsque la même position se retrouve trois fois dans la même partie, le trait étant chaque fois du même côté et les possibilités de mouvement de toutes les pièces étant les mêmes; toutefois, la nulle n’est acquise que si l’un des joueurs la réclame au moment où il a le trait quand la position concernée est apparue pour la troisième fois;

– lorsque les deux adversaires ont joué chacun cinquante coups sans qu’aucune prise de pièce ni aucun mouvement de P ait eu lieu, à moins que l’un des deux joueurs ne puisse démontrer que le mat pourrait être imposé en plus de cinquante coups; cette règle fait l’objet de discussions et est susceptible de modifications;

– lorsqu’un des deux joueurs est pat au moment où il a le trait, c’est-à-dire lorsqu’il ne peut jouer aucun coup sans mettre son roi en échec, ce qui arrive rarement;

– lorsque les deux joueurs sont d’accord, sur proposition de l’un d’eux, pour déclarer la partie nulle, ce qui se produit normalement quand ils ont le sentiment que la partie s’engage clairement en direction de l’un des quatre cas précédents, et qui peut arriver pour des causes extra-échiquéennes (fatigue, manque de combativité, impossibilité de modifier par un gain le résultat d’un tournoi ou d’un match, etc.).

La conduite des parties doit également tenir compte d’un certain nombre de pénalités et de règles secondaires qui n’ont rien à voir avec l’essence du jeu et qui sont énoncées dans un code mis au point et publié par la Fédération internationale des échecs (F.I.D.E.).

Les signes conventionnels

On utilise deux sortes de signes conventionnels: les signes techniques (tabl. 1) et les signes d’appréciation (tabl. 2).

La notation des coups

Il existe divers procédés de notation des coups. Voici l’un des plus usités, les autres n’en différant d’ailleurs que fort peu. On indique successivement:

– le numéro d’ordre du coup joué;

– le nom de la pièce qui joue (si l’on parle) ou le symbole de cette pièce (si l’on écrit le coup);

– la case qu’elle va occuper en jouant, cette case étant décrite dans une notation convenue à l’avance, en général la notation algébrique.

Dans la description écrite, on ajoute:

– un point facultatif après le numéro du coup s’il s’agit d’un coup blanc et, s’il s’agit d’un coup noir, un tiret avant le symbole de la pièce qui joue;

– un point entre le symbole de la pièce qui joue et la désignation de la case où elle joue; ce point peut être remplacé par un signe technique en cas de prise, de prise en passant, d’échec, d’échec à la découverte ou de promotion; il peut être omis sans inconvénient.

Il peut arriver que deux pièces de même nom (et symbole) puissent, en partant de cases différentes, aller sur une même case. On lève cette ambiguïté en indiquant la case de départ avant la case d’arrivée.

Enfin, on convient généralement de ne pas nommer les pions (ou écrire P) mais d’indiquer seulement pour eux la case d’arrivée.

Par exemple, les blancs ayant le trait (fig. 13) peuvent jouer au plus cinquante-trois et au moins cinquante et un coups différents que voici:
Rd1, Ré2, mais pas Rd2 interdit par -3ç; O-O-O (si les conditions sont remplies), mais pas O-O, ni R, ni Rf1 interdits par la -Tf8;
Dç6+, Dd6+, Dé6, Df6, Dg6, Dh7, Dh8, D 憐Tf8, Dg7, D 憐g5+;
Ta2, T 憐Fa3, Tbl, Tçl, Tdl, Tfl, Tgl;
Fb8;
Ca8, Cé8, Cç7.é6+, Cd5, Cç7.b5, Ca6+, Cç2, Cb3+, Cd4.b5, Cç6, Cd4.é6+, Cf5, Cf3, Cé2;
b7+d, b2 憐Fa3, b3, b4+, b2 憐ç3, é4, é8 = D, é8 = T, é8 = F, é8 = C, é7 憐Tf8 = D+, é7 憐Tf8 = T, é7 憐Tf8 = F+, é7 憐Tf8 = C, h2 憐g3, h3, enfin h5 憐g6 e.p., mais seulement si le coup précédent des noirs était: -g5.

La notation des parties

Il existe plusieurs systèmes pour noter les coups d’une partie:

– à la suite les uns des autres, chaque coup blanc étant séparé du coup noir suivant par un tiret ou un point-virgule ou (plus rarement) des points de suspension et chaque coup noir étant suivi d’un point ou d’un point-virgule (cf. le «mat du lion» in Formes et organisation du jeu et, chap. 3, le «mat du berger»);

– en fractions, chaque coup blanc au numérateur, chaque coup noir au dénominateur, la fraction étant précédée du numéro du coup (cf. tabl. 4, l’«Immortelle»);

– en colonne, tous les coups blancs sur une colonne à gauche, tous les coups noirs sur une colonne à droite (tabl. 5).

Lorsqu’une partie est accompagnée de commentaires, ceux-ci peuvent être groupés tous les dix ou vingt coups ou être accrochés aux coups correspondants.

Formes et organisation du jeu

Outre les parties libres – qui se disputent le plus souvent en famille, dans des cafés ou dans des cercles –, les compétitions devant l’échiquier entre forts joueurs individuels peuvent prendre deux formes: les matches et les tournois . Un match est une série de parties entre deux joueurs seulement; un tournoi est une série de parties entre plus de deux joueurs – en général de six à quinze – luttant entre eux selon divers systèmes d’appariement. On compte un point au vainqueur d’une partie, zéro point au perdant, un demi-point à chacun des adversaires en cas de partie nulle.

Il existe en outre d’autres formes du jeu, qui donnent lieu à des exhibitions spectaculaires, mais ne peuvent pas conduire à des combats approfondis. Dans les séances de parties simultanées , un maître lutte contre plusieurs adversaires, chacun d’eux jouant pour son propre compte, sur un échiquier différent. Le record du monde est détenu par l’Allemand Hans Böhm qui, en 1988, joua 560 parties simultanées (509 gagnées, 38 nulles, 13 perdues). Dans les séances de parties simultanées sans voir (ou «à l’aveugle»), le maître ne voit pas les échiquiers; on lui annonce les coups, il doit décider rapidement des réponses et retenir toutes les parties dans sa mémoire jusqu’à leur conclusion. Le record du monde est détenu par l’Américain George Koltanowski, qui, en 1961, joua à San Francisco 56 parties simultanées sans voir (50 gagnées, 6 nulles, 0 perdue).

Citons aussi le jeu en collaboration (une équipe se consultant, opposée à une autre équipe ou à un maître) et surtout le jeu par correspondance (un coup par lettre) qui constitue la forme la plus sérieuse et la plus profonde du jeu d’échecs. Les champions du monde du jeu par correspondance ont été l’Australien C.J.S. Purdy (1947), le Soviétique V. Ragosine (1957), le Belge A. O’Kelly (1961), le Soviétique V. Zagorovsky (1964), l’Américain H. Berliner (1967), l’Allemand de l’Est H. Rittner (1971), le Soviétique Y. Estrine (1975), le Danois J. Sloth (ex-æquo avec V. Zagorovsky, 1979). Enfin on joue par téléphone, par télécopie, par radio.

Il convient de ne pas confondre le nombre de coups d’une partie et la durée de cette partie.

D’après les règles actuelles de la F.I.D.E., une partie ne peut pas dépasser 6 350 coups. C’est là un maximum dont on est très loin de s’approcher dans la réalité. La plus courte partie possible – appelée «mat du lion» – n’exige que deux coups: 1. f3? (ou 1. f4) -é6 (ou é5); 2. g4??? -Dh4=|. La partie la plus longue connue – disputée au championnat d’Israël 1980 entre Stepak et Mashian – prit 193 coups et dura 6 séances, soit 24 heures de jeu. Entre ces deux extrêmes, la très grande majorité des parties oscille entre 25 et 80 coups, la moyenne se situant autour de 45 coups.

La durée d’une partie n’est pas – contrairement à une croyance naïve – nécessairement longue, mais résulte de conventions préalables. Les parties par correspondance peuvent durer un an (ou plus, si les adversaires habitent des pays très éloignés); les parties «éclair» (ou «blitz») – qui prennent de 5 à 10 secondes par coup – peuvent durer de 5 à 10 minutes. Entre ces deux extrêmes, les parties libres durent ce que les adversaires veulent bien les faire durer, en général de une demi-heure à une heure. Dans les parties de compétition, la durée de réflexion est limitée et mesurée grâce à des pendules différentielles permettant de totaliser séparément les temps pris par les deux adversaires; le temps alloué étant, par exemple, de 20 coups par adversaire et par heure, une partie de moins de 60 coups durera moins de 6 heures.

Il y a, dans le monde, plusieurs millions d’amateurs qui ne voient dans le jeu d’échecs qu’une distraction occasionnelle et ne se rencontrent pas régulièrement dans des cercles pour participer à des compétitions locales, régionales, nationales ou internationales. Les plus passionnés sont affiliés à des fédérations nationales, elles-mêmes rassemblées dans une Fédération internationale des échecs (F.I.D.E.), fondée en 1924 par les Français Henri Delaire et Pierre Vincent, et présidée successivement par le docteur Rueb (Pays-Bas), Max Euwe (Pays-Bas) et Fridrik Olafsson (Islande), Folke Rogard (Suède), Florencio Campomanès (Philippines). En 1991, la F.I.D.E. comptait 125 fédérations groupant près de 9 millions de joueurs inscrits, dont la moitié environ dans l’ex-Union soviétique, suivie l’Allemagne, les États-Unis, la Hongrie, etc. Compte tenu des populations, il y aurait, pour 100 000 habitants, 625 joueurs en U.R.S.S., 506 en Islande, 155 au Danemark, 142 aux Pays-Bas, etc.

Il n’existe, dans le monde, que quelques centaines de professionnels dont le jeu d’échecs constitue à la fois l’activité essentielle et la ressource principale. Ils gagnent leur vie en donnant des leçons ou des conférences, en publiant des livres ou des articles, en conduisant des séances de parties simultanées (en voyant ou sans voir), enfin en participant à des matches ou à des tournois dotés de prix assez importants. À titre d’exemple, le tournoi pour le championnat du monde, disputé en 1978 à Baguio City (Philippines) a rapporté 350 000 dollars au vainqueur, A. Karpov, et 200 000 dollars au perdant, V. Korchnoï.

2. Origines et histoire du jeu

Si l’on écarte diverses légendes (le Grec Palamède à la guerre de Troie, le brahmane Sissa, auquel se rattache la fable des grains de blé), la date de naissance du jeu d’échecs dépend de la définition plus ou moins large que l’on en donne. On trouve dès le IIIe millénaire des jeux consistant à déplacer des pions sur un quadrillage. Mais le jeu actuel, décrit dans les lignes précédentes, est sorti d’un jeu apparu en Inde vers 570 après Jésus-Christ (la thèse selon laquelle le jeu est d’abord apparu en Chine avant de passer en Inde compte quelques défenseurs). Appelé tchaturanga («jeu des quatre rois»), il se disputait sur 8 憐 8 = 64 cases, entre quatre adversaires, chacun jouant pour son propre compte et possédant un navire, un cheval, un éléphant, un roi et quatre pions. Chaque joueur jouait à tour de rôle, un jet de dé indiquant la pièce qu’il devait obligatoirement déplacer, le choix de la case incombant à sa réflexion.

En peu d’années, les dés (et, par conséquent, le recours au hasard) furent supprimés, les joueurs s’associèrent deux à deux, puis mirent leurs pièces côte à côte, et enfin la direction de chacun des deux camps fut confiée à un seul joueur.

Ainsi constitué, le jeu d’échecs va être diffusé dans trois directions: vers la Chine, puis la Corée et enfin le Japon, où il donnera naissance à des jeux légèrement différents; beaucoup plus tard (XIIIe siècle?) vers la Russie (soit par l’intermédiaire des Mongols ou des Tartares, soit à travers l’Empire byzantin), d’où il repartira vers la Scandinavie, l’Allemagne et l’Écosse; et enfin en Iran, où il sera apporté par des marchands et prendra le nom de shatrang : il sera adopté par les Arabes, qui, après avoir conquis l’Iran, diffuseront les échecs sur le littoral nord de l’Afrique et l’introduiront en Espagne. Le jeu se répand alors dans toute la chrétienté, et aux manuscrits arabes vont succéder des manuscrits européens. En même temps, la marche de certaines pièces se modifie et, à quelques détails près, toutes les règles vraiment significatives du jeu (y compris l’avance facultative des P, la prise en passant, la promotion et le roque) étaient acquises à la fin du XVe siècle.

D’Espagne, le sceptre des échecs va passer en Italie (XVIe et XVIIe siècle), puis en France (XVIIIe), en Grande-Bretagne, en Allemagne (XIXe et début du XXe siècle), avant d’appartenir à l’Union soviétique (tabl. 3).

Avant la Seconde Guerre mondiale, la meilleure joueuse du monde, Vera Menchik-Stevenson, était britannique. Depuis la création en 1949 d’un championnat du monde féminin, les championnes – L. Rudenko, E. Bykova, O. Rubtsova, K. Zvorikina, N. Gaprindaschvili, M. Tchibourdanitzé, N. Alexandria, N. Iosséliani et E. Akhmilovskaïa – ont été soviétiques.

Institué depuis 1951, le championnat du monde juniors a été successivement gagné par Ivkov, Panno, Spassky, Lombardy, Bielicki, Parma, Gheorgiu, Kurajica, Kaplan, Karpov, Hug, Bielicky, Miles, Tchekov, Diesen, Ioussoupov, Dolmatov, puis par un Français de 15 ans, Joël Lautier, en 1988.

Enfin, des «olympiades échiquéennes» furent instituées en 1924, tous les quatre ans puis tous les deux ans. Chaque pays participant est représenté par une équipe de quatre joueurs. Les vainqueurs ont été l’Union soviétique (17 fois), les États-Unis (5 fois), la Hongrie (4 fois) et la Tchécoslovaquie, la Pologne, l’Allemagne et la Yougoslavie (1 fois). Un championnat de France existe officiellement depuis 1914.

Une liste d’hommes célèbres intéressés, et parfois passionnés, par le jeu d’échecs compterait des centaines de noms. Ne retenant que ceux dont on possède de très bonnes parties, on peut citer: J.-J. Rousseau, A. de Musset, Tolstoï, Meyrinck, Lewis Carroll, Lénine, Piatigorsky, D. Oïstrakh, S. Prokofiev, M. Duchamp, V. Nabokov, Jean-Paul II.

3. La théorie

Plus de dix mille livres ont été consacrés au jeu d’échecs et, chaque année, on voit apparaître plusieurs dizaines de nouveaux livres, sans compter des centaines de revues, généralement mensuelles, dans lesquelles on peut trouver des nouvelles du monde échiquéen, des parties disputées entre des «grands maîtres», des «maîtres» et de forts joueurs, des analyses, des études théoriques et des problèmes.

C’est que le jeu d’échecs est une véritable science, en progrès constant, dominé par des lois dont certaines, les lois stratégiques, définissent les objectifs à viser et les autres, les lois tactiques, indiquent les moyens d’y parvenir. Très tôt, on a compris qu’il n’était pas possible, à chaque coup d’une partie, de rechercher explicitement un mat – le seul moyen, cependant, de gagner la partie. Il faut se contenter de viser des «buts intermédiaires»: gain d’une pièce, concentration vers la région où est situé le R adverse, contrôle des cases centrales, occupation des lignes ouvertes, obtention de P «passés» (qui pourraient espérer arriver en huitième rangée, se transformant en D), attaque des P «isolés» (donc difficiles à défendre), pénétration dans les «trous», etc. L’édification de cette théorie générale a surtout été l’œuvre de Lucena, Philidor, Steinitz, Tarrasch, Reti, Nimzovitch...

Cette théorie générale se prolonge dans des théories particulières correspondant aux trois phases d’une partie normale: le début, consacré à la mobilisation, le milieu, où se déroulent les combats, et la fin, dans laquelle, si une décision n’est pas encore intervenue, on s’efforce de fabriquer un nouveau matériel en amenant un P à la huitième rangée.

La théorie des débuts recense des pièges classiques, comme le «mat du berger» ou «mat de l’écolier» (1. é4 -é5; 2. Fç4 -Fç5; 3. Dh5? -Cf6??; 4. D 憐f7 =| ), qui met en lumière l’existence de la «case faible» f7 (ou ) de chaque camp.

L’exploration de tous les coups corrects à partir de la position initiale constitue la théorie analytique des débuts. On a baptisé une centaine d’entre eux, les plus importants, et on a recensé plus de cent mille de leurs variantes. Ces ouvertures, parties, débuts, variantes ou lignes se différencient par la manière dont ils entendent constituer une force au centre, réaliser une mobilisation, mettre les R à l’abri, s’orienter vers l’attaque ou l’attente, etc.

Comme toute science, le jeu d’échecs est aussi un art. En effet, une partie d’échecs fait naître des émotions esthétiques souvent intenses et, lorsqu’elle est disputée entre de grands joueurs, elle exprime leur personnalité d’une manière surprenante. Il est aussi impossible de confondre une offensive de Pillsbury avec une partie de Petrossian qu’un menuet de Mozart avec de la musique concrète. Certaines de ces parties sont conservées pour permettre à l’amateur et à l’étudiant de les rejouer et de s’en délecter. Une d’entre elles, en son temps, fut surnommée l’«Immortelle» (tabl. 4).

Depuis l’Immortelle, bien d’autres parties plus remarquables et plus spectaculaires ont été jouées (tabl. 5). Dans beaucoup de tournois, la coutume s’est instaurée d’offrir des «prix de beauté» destinés à récompenser les parties les plus brillantes, les plus spirituelles ou les plus profondes d’un tournoi ou d’un match.

De telles parties – et plus généralement toutes les parties disputées entre de forts joueurs – montrent qu’à côté de qualités comme l’aptitude au raisonnement logique (associée à une certaine force de caractère) une imagination créatrice très fraîche constitue un atout irremplaçable. Cela explique que des jeunes gens, et parfois des enfants, obtiennent des succès surprenants, l’âge optimal étant situé entre vingt et quarante ans.

4. Vers l’automatisation des échecs

L’aspiration à une automatisation des échecs ne s’est d’abord traduite que par des récits de fiction puis par de pseudo-robots comme Turc qui, en 1809, gagna une partie à Napoléon Ier et dans lequel un joueur de petite taille pouvait se loger à l’insu du public. La première réalisation véritable – elle était électromécanique – est due à l’ingénieur espagnol Torres Quevedo (de 1900 à 1911), mais son champ était limité à la lutte R + T contre R. Toutefois, la possibilité de demander à une machine de jouer correctement et de bout en bout une partie d’échecs à partir de la position initiale pouvait paraître utopique. Les progrès rapides de l’électronique, de la théorie de l’information et de la logique mathématique devaient métamorphoser cette question et, sans la résoudre totalement, y faire, sur la base des travaux de Hartley, de Turing et de Shannon, des percées impressionnantes.

Il n’est toujours pas question de se contenter d’apprendre à un ordinateur la seule règle du jeu (marche des pièces, coups permis ou interdits, but de la partie, etc.) et de lui demander ensuite, dans une position un peu compliquée, d’explorer l’arbre entier des variantes pour en dégager avec certitude, selon une méthode que l’on appelle minimax, les coups justes. En partant de la position initiale, il faudrait inventorier un nombre de possibilités qui semble être de l’ordre de 101070! Mais on peut concevoir, et on a élaboré, des programmes contenant un certain nombre de principes fondamentaux appris des plus grands joueurs (cf. chap. 3, La théorie ), ce qui réduit le balayage. En 1991, le meilleur couple programme-ordinateur était l’américain Deep Thought, qui fut opposé à plusieurs reprises à Gary Kasparov et à Anatoly Karpov, sans toutefois remporter une seule partie.

On peut se demander ce qui se produirait si on arrivait un jour à automatiser complètement et parfaitement le jeu d’échecs. Un tel progrès dépasserait de beaucoup en intérêt l’importance du seul jeu d’échecs, car il mettrait en lumière des méthodes heuristiques pour l’exploration des «arbres de recherches», quelle que soit la nature des disciplines scientifiques ou techniques concernées. Il est vrai que ce serait, en même temps, la mort du jeu d’échecs traditionnel; mais les amateurs d’intelligence ne devraient pas le regretter. Ils n’auraient qu’à imaginer d’autres activités plus complexes, plus subtiles, plus ingénieuses et posant des questions non encore résolues. La composition échiquéenne nous montre déjà un chemin qui sera sans doute celui de l’avenir.

5. La composition échiquéenne

Toutes les parties d’échecs ne sont pas également spectaculaires et, au cours d’une même partie, toutes les manœuvres ou tous les coups ne sont pas également émouvants. Il était naturel que des amateurs passionnés voulussent conserver des traces des combinaisons les plus impressionnantes qui avaient surgi au cours de leurs parties. C’est ce qui arriva dès les premiers pas du jeu et qui devait aboutir à un nouveau genre, la composition échiquéenne. Confondu à l’origine avec la partie, le problème devait s’en écarter peu à peu pour aboutir de nos jours à une très nette séparation et acquérir une autonomie dont les conséquences sont certainement loin d’être stabilisées.

Au début (Arabes, Moyen Âge), on se contenta de ne retenir que des positions provenant de parties réellement jouées et permettant d’annoncer un mat en quelques coups obtenu au moyen d’une combinaison brillante et paradoxale. On supprima alors les pièces devenues inutiles au moment où le problème se posa. Puis on retoucha les positions, de manière à rendre les solutions plus surprenantes et leur recherche plus difficile. On en vint ensuite à imaginer des problèmes ne correspondant pas à des positions rencontrées dans l’expérience du joueur. Enfin, on convint que les solutions, et notamment le premier coup de chacune (ou «clé»), devaient être uniques. Toutefois, l’esprit de la partie – avec son goût pour des sacrifices matériels énormes et imprévus – continua à présider au «problème ancien».

Exemple A (fig. 14). Les blancs sont menacés de 1. -Dh2 =| et de 1. -Dg2 =|.
Solution:
1. Dé6+!! -D 憐Dé6; 2. Cd7! -D 憐Cd7 (forcé); 3. Tb8+!! -R 憐Tb8; 4. ç6 憐Dd7 suivi de 5. ç8 = D =|.

Dans la première moitié du XIXe siècle, des aspirations de moins en moins timides devaient se faire jour jusqu’à l’apparition du célèbre «problème indien» (1845), qui devait bouleverser la situation en présentant une manœuvre pratiquement inimaginable dans une partie.

Exemple B (fig. 15).
Solution:
1. Fç1!! (coup «critique» franchissant la case «critique» d2 en vue de faire intercepter ce F par la T afin d’éviter un pat) -b4; 2. Td2!! -b5; 3. Rb1 ou Rb2 -R joue; 4. Td4+d et =|.

Avec la notion de thème le «problème moderne» était né. Toute fidélité à la partie était jetée par-dessus bord. On ne se fit pas scrupule, par exemple, de construire des positions présentant une très grande inégalité de matériel, de sorte qu’aucun joueur ne s’intéresserait à conduire une partie où la victoire du camp le mieux armé ne fait pas de doute, alors que la manœuvre gagnante nécessaire dans le plus petit nombre de coups n’en est pas moins invraisemblable, donc très difficile à découvrir, le mat pouvant même être administré par le camp le moins bien pourvu en matériel.

Pendant près de quatre décennies, de nombreux thèmes originaux furent imaginés dans un climat enthousiaste et anarchique. Vers 1880, on en vint à tenter d’organiser plus rationnellement le défrichement du nouveau domaine. La liste de toutes les qualités que l’on pourrait demander à un problème était devenue très longue, très disparate, et il apparut qu’il était pratiquement impossible de les réunir toutes dans une même œuvre. Il fallait choisir, selon des critères esthétiques plus ou moins subjectifs. Ce fut l’époque des «écoles» qui, en un sens, continuent à prospérer de nos jours.

La première, l’école nord-américaine , dominée par Sam Loyd, le «roi du problème d’échecs», et son disciple W. A. Shinkman, cultive des combinaisons fantastiques, paradoxales et humoristiques. Plus tard, citons comme créateur indépendant le Roumain W. Pauly.

Problème C (fig. 16).
Solution:
1. Rç5!! (le seul coup gagnant malgré la manœuvre incompréhensible qui l’expédie loin du champ de bataille) -Fg1; 2. Rb6!! -Fh2; 3 . Ra7!! -Fg1; 4 . Ra8!! -Fh2; 5. Rb8 -Fg1; 6 . Rç7 -Fh2; 7 . Rd8 -Fg1; 8 . Ré7 -Fh2; 9 . Rf8 -Fg1; 10 . Rg7 -Fh2; 11 . Rh6 -Fg1; 12 . Rg5 -Fh2; 13 . R 憐h4 et mat au coup suivant (composé par Loyd à quinze ans).

L’école allemande ancienne , appelée aussi, plus justement, école continentale ou école du grand style , sera fondée par Conrad Bayer, codifiée par Johann Berger, illustrée par Pradignat, Jespersen, Marin... L’école bohémienne , fondée par Dobrusky, illustrée par Pospisil et Havel, reprendra une partie de ses idéaux et cultivera la diversité des variantes et la beauté des «tableaux de mats».

Problème D (fig. 17).
Solution:
1 . Th2 («blocus», c’est-à-dire que les blancs ne «menacent» d’aucun mat, les mats ne pouvant survenir que parce que les coups
noirs comporteront inévitablement des «effets nuisibles») :
Si 1. -é2,
2. Th3 suivi de 3. Tb3=| (vertical);
Si 1. -Ta7,
2. Tb6+-Rç33. Tb3=| (horizontal);
Si 1. -Tb5,
2. Dd4+-Rb33. Th2.b2=| (vertical);
Si 1. -Rç3,
2. Dç5+-Rb33. Ta6.a3=| (horizontal).
Ces quatre variantes aboutissent à quatre tableaux de mat «écho», c’est-à-dire superposables mais différents, soit par les cases où le R noir est mat, soit par les directions du mat.
Si 1. -Tb8, 2. Tç2 (menace: 3. Dç4 =|); si alors 2 . -Tç8 3. Db7 =|.
Ce tableau de mats est «pur» (aucune des cases du «champ royal» n’est l’objet de plus d’une interdiction), «économique» (toutes les figures blanches sont nécessaires), donc «modèle»; et, en outre, «miroir» (toutes les cases autour du R noir sont vides). Sur tous les autres coups de la T noire (variantes sans intérêt), 2. Tb6 + suivi du mat.

L’école anglaise (Planck, Taverner, Heathcote, P. F. Blake) porta principalement son effort sur les problèmes en deux coups; les manœuvres de gain des blancs ne peuvent guère y être étonnantes, mais les «dommages» ou «effets nuisibles» (noirs ou blancs) s’y prêtent à de belles réalisations. Au voisinage de l’école anglaise, l’école anglo-américaine du «task» (J. C. J. Wainwright, A. C. White), dans laquelle un élément qui, pris isolément, serait banal est répété un nombre surprenant de fois; par exemple, les huit coups possibles de la «rosace» d’un cavalier (banc ou noir), ou les quatorze coups possibles de l’«équerre» d’une tour ou les douze échecs possibles d’une dame à un roi ennemi, ou les huit cases de fuite d’un R, ou un grand nombre de mats modèles, etc.

Problème E (fig. 18).
Solution:
1. Tç1.ç7 (menace: 2. Cç3 =| ).
Chacun des huit coups du C noir pare cette menace (par évacuation de la case d4 au profit du R noir), mais produit un dommage permettant d’administrer huit mats différents.

Après la Première Guerre mondiale, l’école du Good Companion Chess Problem Club , d’origine américaine et d’extension internationale (Mansfield, Ellerman), devait continuer l’étude de certains dommages noirs (déclouages, demi-clouages, échecs croisés) ainsi que de dommages blancs dans les «essais» (ou pseudo-clés).

Au début du XXe siècle, l’école allemande jeune ou stratégique , fondée par Kohtz et Kockelkorn et renouvelée par von Holzhausen, attirera des compositeurs du monde entier. Elle s’attaquera à l’étude systématique et scientifique des thèmes existants, en découvrira d’autres, très subtils, comme le thème romain (fig. 19), dégagera l’importante notion de «pureté de but» et se prolongera dans l’école logique .

Problème F (fig. 19).
Solution:
Essai thématique: 1. Dé2? (menaçant: 2. Fd3 suivi de 3. Dç2 =| ) semble la bonne clé, mais c’est une erreur. Les noirs disposent d’une «parade» efficace, c’est-à-dire sans «dommage»: 1. -Fg5!!; et si 2. Fd3 -F 憐é3! et pas de mat.
Clé: 1. Cd6 (menace: 2. Cé4 =| ) -F 憐Cd6 et maintenant l’essai thématique est devenu valable, car après 2. Dé2!! -Ff4 (continue à parer la menace mais avec dommage) 3. é3 憐Ff4 -R 憐d4; 4. Dé5=|.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le problème n’a cessé de viser des objectifs d’un raffinement quasi impensable, aussi bien dans le «deux coups» et le «trois coups» (fig. 20) que dans le «multicoups» et le «long coup» (fig. 21). J. Fulpius, R. C. O. Matthews, St. Schneider.

Problème G (fig. 20).
Solution:
1. Ch6 (menace: 2. T 憐f3 menaçant à son tour de 3. Cf7 =|); cette deuxième menace pouvant être parée soit par 2. -Té4 et alors 3. Dg7 =| , soit par 2. -d4 et alors 3. D 憐é6 ou f5 =|.
Si 1. -Té3; 2. Fb6 (menaçant 3. Fd4=| ou 3. Dd4 =| ) et si alors 2. -Ff4; 3. D 憐é6=|; ou si 2. -Té4; 3. Dg5=| .
Si 1. -T 憐 Tf1; 2 . Cç5 (menaçant 3. Cd7=|) et si alors 2 . -d4; 3. Dg5 =|; ou si 2. -Ff4; 3. Dg7=|.
L’analyse de la structure de ce problème, qui combine harmonieusement des «permutations cycliques de parades» à des «permutations cycliques de mats» et à des «permutations cycliques d’objectifs», dépasse le cadre de cet article.

Problème H (fig. 21).
La position comporte deux F sur cases noires, ce qui n’est pas «illégal», l’un de ces F pouvant résulter de la sous-promotion d’un P noir. Mais elle est «illégale», car elle ne pourrait pas résulter d’une partie même mal jouée; en effet, les noirs n’ont perdu qu’une pièce et les P blancs ont fait trois prises. La solution, qui commence par 1. Td1+ et comporte seize fois la répétition d’une manœuvre en dix-sept coups, ne peut être détaillée ici. Ce problème bat le record du monde des «longs coups directs».

L’étude artistique se distingue du problème proprement dit à deux points de vue: elle peut viser la partie nulle et pas nécessairement le gain; dans l’un ou l’autre cas, on n’indique pas le nombre de coups nécessaires pour atteindre ce but et on se contente d’annoncer: «gain» ou «nulle». En outre, l’objectif visé est considéré comme atteint si, après des manœuvres remarquables, on atteint une position à partir de laquelle n’importe quel joueur saurait aisément comment obtenir le résultat requis. Mais, comme le problème, l’étude artistique part de positions invraisemblables pour les joueurs.

Étude I (fig. 22).
Solution:
Les blancs sont sous une menace de mat en peu de coups. 1. b7! -f3+; 2. Rh1! -!; 3. Fb6 + -Ré2; 4. F 憐 -R 憐F; 5. b8 = C+!! -Cç2; 6. Ta5 -Ca3!; 7. T 憐Ca3 -F 憐g6; 8. é8 = T!! -F 憐Té8; 9. a7 -Fg6!; 10. a8 = F!! et gagnent facilement.
Seule une analyse soignée de chacun des coups blancs et noirs permet de démontrer qu’ils sont les meilleurs. L’étude présente trois sous-promotions successives en C, T et F.

Dans la finale artistique (qu’il convient de ne pas confondre avec les «finales théoriques»), le matériel, généralement très réduit, et la position pourraient survenir dans le jeu réel; en fait, c’est une étude artistique dont peu de joueurs sauraient trouver la solution, s’ils la rencontraient au cours d’une fin de partie.

Étude J (fig. 23).
Solution:
Si la T n’arrive pas à empêcher l’arrivée à D d’un P blanc, les noirs perdront à coup sûr. Les blancs doivent donc capturer la T noire; ils y arriveront, selon les variantes, sur chacune des quatorze cases de l’«équerre» de la T.
Variante principale: 1. b6 -T 憐é5; 2. Fd3! -Th5 (le moins mauvais); 3. Fç4+-Ra1; 4. b7 -Th7!; 5. Ff7 (et non 5. b8 = D? car -Tf7+ et nulle par «échec perpétuel» ou pat) -Th8 +; 6. Fg8 suivi de b8 = D gagne aisément.

De nos jours, on constate le même phénomène que dans la partie. Toutes les nationalités apportent une contribution valable, à côté des grandes nations qui se sont illustrées à l’origine et avec l’Union soviétique.

Tout ce qui précède concerne les compositions dites orthodoxes, qui, si elles ont divorcé avec l’esprit de la partie, se situent toujours dans le cadre de la règle officielle du jeu. Déjà au Moyen Âge, on avait imaginé les «problèmes inverses» dans lesquels les blancs doivent obliger les noirs à mater le R blanc.

Étude K (fig. 24).
Solution:
1. Cç6; 2. Ca5; 3. Cç4; 4. Ca3; 5. Cç2; 6. Ca1; 7. Tç8.b8+; 8. Ta2; 9. Cb3; 10. Td2; 11. Tç8; 12. Té8+; 13. Tg2, etc.

Au XIXe siècle, apparaissaient les «problèmes aidés» dans lesquels les blancs et les noirs collaborent pour arriver dans un nombre de coups donnés (qui doit être minimal) à mettre mat ou pat l’un des deux R.
Étude L (fig. 25).
Solution:
Coup noir zéro (précédant le premier coup): 0 - Dé8; 1. é5 -Fb1; 2. Fç2 -Rf7; 3. Fh7 -Fg6; 4. Fg8. Il s’en passe des choses sur la diagonale b1 -h7!

D’autres familles de problèmes «hétérodoxes» devaient voir le jour: «jeu marseillais» (chaque adversaire joue deux coups de suite au lieu d’un seul), «qui perd gagne», etc. Avec T. R. Dawson, cette tendance à l’extension devait passer – sous le nom charmant (mais qui reflète bien mal un esprit mathématique) d’«échecs féeriques» – d’un stade récréatif et artisanal à un idéal de création systématique. On imagine tous les jours des pièces nouvelles: cavaliers de la nuit (fig. 26), sauterelles, sauteurs, princesses, tanks, jokers, kamikazes, imitators, etc.; on les fait évoluer sur des échiquiers différents, de moins ou plus de soixante-quatre cases, voire une infinité, circulaires, cylindriques, toriques, à trois dimensions, à quatre dimensions, etc.; on modifie telles autres conventions: obligation de jouer les coups les plus longs, pièces Circé ressuscitant sur d’autres cases quand elles sont capturées, etc.

Étude M (fig. 26).
Solution:
Le symbole du cavalier de la nuit est: N. Clé: 1. Fç5! autocloue le Né5, menace 2. Db4 =|.
Il y a quatre parades noires:
1. -ç3; 2. Na3 =|1. -Cç3; 2. N 憐Tf3 =|1. -Né8.f6; 2. N 憐f7 =|1. -Ng4.f6; 2. Na7 =|.

Quatre mats de déclouage du Né5. Quatre autres études sont présentées (fig. 27 à 30) .

Étude N (fig. 27).
Solution:
1. Fh3. Si -g6; 2. F 憐b6 -d5; 3. Td4 -R 憐; 4. T 憐d5+d, etc.
Si 1. -d5; 2. T 憐d5 -g6; 3. Fd4 -R 憐é2; 4. F 憐b6+d, etc.
Quatre thèmes indiens à la fois réciproques, successifs, alternatifs.

Étude O (fig. 28).
Solution:
Essai thématique: 1. h3? -Cf6!.
Solution: 1. Cd4!; 2. Cb5; 3. Fd5; 4 F 憐Cg8!; 5. Fd5; 6. Fç4; 7. Cd4; 8. Cf5; 9. h3, etc.
Switchback blanc, mouvement pendulaire, suppression.
Étude P (fig. 29).
Solution:
1. Ff6 -d4; 2. Cé2 -al = D; 3. Cçl -Da5; 4. F 憐d4 +, etc.
L’étude préférée de Lénine.
Étude Q (fig. 30).
Solution:
1. h5 -g6 憐h5; 2. g6 -f7 憐g6; 3. é6 -d7 憐é6; 4. ç5 -d6 憐ç5; 5. a6 -b7 憐a6; 6. b6 -a7 憐b6; 7. pat.

Certes, la partie et la composition orthodoxe ont encore de beaux jours devant elles. Mais il est permis de penser que l’aptitude des échecs à l’hétérodoxie leur permettra d’accéder, dans l’avenir, à des trésors insoupçonnés.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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